samedi 5 février 2011

Syndicaliste en devenir

Billet un petit peu personnel.

L'autre jour, j'ai retrouvé sur les bancs de l'université une vieille connaissance. Au lycée, il s'agissait d'un garçon calme, un peu timide, et raisonnable. J'ai donc été plutôt surprise de le voir, entre deux cours, descendre vers l'estrade de l'amphithéâtre et emprunter son micro au professeur. Il a annoncé être engagé politiquement et faire partie d'un syndicat d'étudiants dont je tairais le nom, mais qui a déjà fait preuve de médiocrité dans notre université à plusieurs reprises.

Il venait nous alerter d'une tragédie qui, alors que nous absorbions tranquillement des pages et des pages de connaissances, se préparait à frapper les étudiants de première année. Dans l'ombre des bureaux de l'université se préparait un plan machiavélique pour réduire encore davantage le taux de réussite dans l'année maudite, que redoutent tous les étudiants, la première année de licence de droit.

Le plan démoniaque était le suivant : supprimer purement et simplement les cessions de rattrapage en première année. Oui ! Ils avaient osé. Cette idée horrible ne pouvait être que l'oeuvre de professeurs haineux, jaloux de notre jeunesse, et trop paresseux pour passer quelques semaines supplémentaires à corriger nos copies.

Le sort de l'université se trouvait entre nos mains. Il nous fallait, tous, le plus tôt possible, nous connecter sur le site web de l'université afin de participer à un sondage, afin de répondre tous non, ensemble, solidairement, à ce projet démoniaque de nos professeurs.

J'exagère à peine.

En me connectant, quelques temps plus tard, j'ai découvert le sondage en question dans ma boîte mail. On nous proposait en effet de voter pour ou contre une proposition, visant, je cite, à "diminuer le taux d'échec en première année".

Le but de la proposition était de faire passer, dans toutes les matières (et non plus seulement dans deux matières) des contrôles continus veillant à contrôler régulièrement l'état des connaissances et à distribuer des points faciles à gagner pour les élèves apprenant leurs cours. L'examen terminal serait reculé de plusieurs semaines, allégeant l'emploi du temps, et offrant aux étudiants une plus longue période de révisions.

En contre-partie, la session de rattrapage serait supprimée, puisqu'elle ne permettait qu'à très peu d'étudiants de remonter suffisamment leurs notes (en effet, ce n'est pas en une semaine qu'on apprend l'intégralité du droit de la famille, par exemple).


J'ai la désagréable sensation de m'être fait avoir. Je ne sais pas si ce garçon, qui était un très bon camarade de lycée, est devenu de lui-même un militant, ou si le syndicat dont il est membre l'a poussé sur la mauvaise pente.

Le pire, c'est qu'il s'agit d'un garçon intelligent, ou en tout cas très vif d'esprit. Il est bon orateur, plutôt doué en cours, et je m'attendais franchement à autre chose de sa part qu'à un discours aveugle (ou manipulateur ?) et partial.

La conclusion à en tirer est probablement qu'entrer en politique revient souvent à s'acheter des oeillères. Moyennant quoi, les hommes dont nous avons peut-être le plus besoin sont ceux qui ne s'engageront jamais sur la scène publique.

5 commentaires:

jazzman a dit…

Je suppose que vous avez voulu dire oeillères et pas ornières.

Curmudgeon a dit…

Ce monde est pourri. Il faut le régénérer. Pour cela il faut agir dans une organisation militante. Pour agir sur les masses inorganisées, il faut recourir à des techniques d'agitprop (pour la Bonne Cause, évidemment). Si vous avez assisté à des "assemblées générales" (sic), vous avez pu voir comment ça fonctionne. Dans le cas que vous relevez, on est dans le classique de lé désinformation (avec peut-être une auto-suggestion pour une part).

Vous noterez qu'on est là dans une université, où on est censé rechercher la vérité.

Qu'en est-il des professeurs ? Je connais au moins un professeur (agrégé de droit public) qui a défendu publiquement sur Internet le "droit de grève des étudiants". Je ne suis pas juriste. Il y a des subtilités qui m'échappent. Je croyais que le droit de grève concernait les salariés. Il en ressort donc que les étudiants sont des salariés travaillant pour une entreprise appelée "université" (ou pour le ministère). C'est ça, non ?

Ariane Page a dit…

Je ne me suis pas vraiment renseignée sur la question, mais je ne pense pas que les étudiants soient considérés comme des salariés, ce serait bizarre.
La grève ne fait pas partie des motifs qui peuvent justifier une absence aux cours obligatoires (dans notre règlement en tout cas). Les absence sont tolérées lorsqu'il y a de graves perturbations dans l'organisation de l'université, mais je n'ai jamais entendu un étudiant en droit justifier une absence par le droit de grève. De toutes façons, nous n'avons que deux ou trois cours obligatoires par semaine, je ne vois pas trop quel est l'intérêt du droit de grève avec un tel emploi du temps.
Ceci dit, dans une autre université de la ville, la situation est totalement différente. Les grévistes ont plutôt tendance à empêcher les étudiants de se rendre en cours, et les professeurs ne sont pas les derniers à se mettre en grève, peut-être que les étudiants peuvent négocier au cas par cas leurs absences.

Curmudgeon a dit…

Vous voyez ce qui se passe. On commence à attribuer aux étudiants un droit de grève complètement imaginaire. Ensuite, on fait comme si le droit de grève comprenait le droit d'établir des piquets de grève (à ma connaissance, la jurisprudence est que les piquets de grève sont illégaux). Alors, on feint de trouver normal, et même hautement démocratique quand des groupes se mettent à "bloquer" les bâtiments. Ceux qui s'en étonnent sont dès lors tenus pour des personnages douteux, qui osent "mettre à cause le droit de grève", donc, en somme, des "fascistes". Le tout sous le regard bienveillant d'une majorité d'enseignants et d'étudiants. La corruption des esprits a atteint son comble. Le mépris du droit aussi.

Je précise ma note précédente. Le professeur agrégée de droit public dont je parlais n'était autre que la directrice de l'IEP de Bordeaux, qui, sur le site Web dudit IEP, se rengorgeait en proclamant son respect du droit de grève étudiant. Je lui ai demandé de me confirmer que les étudiants étaient des salariés, mais cette dame était trop occupée pour me répondre.

Ariane Page a dit…

Tout à fait d'accord.
Je suis assez contente que la faculté de droit de Rennes soit séparée du reste du campus : les professeurs appliquent très strictement les règles, contrairement à ce peut se passer sur les campus excentrés. Je n'ai jamais vu un seul professeur de droit se servir de son droit de grève, encore moins un élève. Le doyen a fait verrouiller les portes une fois lorsque des grévistes venus d'une faculté voisine ont voulu entrer dans nos murs. Quand j'étais en première année, à peine à un mois de la rentrée, un représentant d'un syndicat étudiant a fait un discours pendant la pause au milieu d'un cours en amphithéâtre, encourageant les élèves à manifester. Le professeur a repris le micro après, pour souligner les nombreuses erreurs et approximations dans le discours de l'élève et offrir quelques contre-arguments. On ne se laisse pas faire.