mardi 25 janvier 2011

Abus de droit et liberté d'expression

J'ai pu lire sur la toile que le procès Zemmour est "le procès de la liberté d'expression". Ce qu'on appelle désormais l'affaire Zemmour est sans aucun doute trop complexe* pour être simplement rapportée à un procès fait à la liberté d'expression, mais cette analyse, même simpliste, permet de se poser une bonne question.

Peut-on abuser de la liberté d'expression ?

Le droit nous enseigne que, depuis un siècle environ, la théorie de l'abus de droit existe, ce qui signifie que l'on peut commettre une faute en usant d'un droit. Le caractère fautif de l'usage du droit concerné réside dans l'intention : le droit a été instrumentalisé pour nuire à autrui.

Cette définition pose bien sûr des problèmes techniques considérables : quand use-t-on légitimement de son droit ? Je passe sur les détails techniques.

Personnellement, je fais partie de ceux qui préfèrent privilégier la liberté d'expression, quitte à entendre des horreurs. C'est la position de Voltaire : je n'aime pas forcément les idées des autres mais j'irais me battre pour qu'ils puissent les exprimer, à l'exceptions d'atteintes comme la calomnie, par exemple. 

De ce point de vue, l'affaire Zemmour (et les autres procès dans ce domaine) paraissent presque ridicules, de même que les lois mémorielles. Saviez-vous que la France reconnaissait officiellement le génocide arménien ? Vous n'êtes peut-être pas d'accord, mais vous n'avez pas le choix. Ces lois, même si elles n'ont semble-t-il aucune application concrète, et qu'elles sont en théorie remplacées par un autre mécanisme, tendent à mettre en place une version officielle de l'histoire, même par petites touches.

Un historien a été condamné à des dommages et intérêts pour avoir oublié le nom d'un inventeur dans un ouvrage d'histoire. On s'éloigne du procès Zemmour, je sais.

Revenons-y : condamner Mr Zemmour serait un véritable pied-de-nez à la liberté d'expression. On peut citer l'affaire des Guignols de l'info, qui concernait aussi la liberté d'expression, et dans laquelle le juge a montré qu'il retenait un seuil de la faute très élevé en la matière. Il n'y avait en l'occurrence pas eu de condamnation faute d'intention de nuire spécialement caractérisée.

D'un autre côté, si j'étais Mr Zemmour, je douterais de mes chances. On ne peut pas dire que j'accroche totalement à son discours sur ce qu'il nomme la bien-pensance, mais si on adopte sa vision du monde politique et médiatique, il y a de quoi s'inquiéter.

En effet, les Guignols de l'info sont connus pour leur "humour canal", leurs parodies gentiment rebelles, qui finalement ne sortent pas trop du politiquement correct. C'est le fruit typique de la rébellion bon enfant de notre époque, comme le chanteur Cali, qui se vante sur les plateaux télévisés d'être hautement rebelle.

La véritable rébellion, telle que l'exprime parfois Mr Zemmour, qui consiste à dire ce que pensent tout bas ceux qui n'ont aucune tribune médiatique, sera-t-elle jugée de la même manière ? Je ne crois pas tellement au "deux poids deux mesures" que dénonce toute une partie de la blogosphère conservatrice, mais je dois avouer que j'ai quelques craintes.

Si Mr Zemmour gagne, ce sera une petite victoire pour la liberté d'expression.

Si Mr Zemmour perd, les français comprendront peut-être qu'il est possible d'être condamné pour une parole anodine, et que la liberté d'expression que beaucoup croient acquise ne l'est jamais vraiment totalement. Au moins aura-t-on la satisfaction d'être infiniment plus anticonformistes et autonomes que les rebelles de pacotille qui suivent le troupeau médiatique en bêlant tous la même chose. C'est un plaisir que je savoure.


* Il y a un régime spécifique pour propos tenus par les invités sur un plateau télévisé, et cela dépend sans doute aussi de la manière dont a été fait le montage, etc. La question est beaucoup plus complexe juridiquement parlant que ce à quoi on veut l'y réduire.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Je n'arrive pas à trouver l'historien condamné pour avoir omis le nom d'un inventeur. Vous avez des précisions ?

Ariane Page a dit…

C'est l'affaire Branly, mais je ne sais plus si Mr Branly est de la famille de l'inventeur lésé ou s'il est l'historien. C'est un arrêt de la chambre civile de la Cour de cassation du 27 février 1951. Je crois me souvenir que l'inventeur (ou ses descendants) et l'historien avaient une aversion l'un pour l'autre, ce qui a peut-être en partie motivé la décision, mais j'ai un professeur très amoureux de la liberté d'expression qui estime que c'est beaucoup plus inquiétant que ça.